Suite texte du 12 février (La Solitude, chapelle néogothique) "1".
Par sa volumétrie, sa composition et son programme sculpté, cette chapelle se présente comme une œuvre néogothique parfaitement homogène. Par sa date de construction, elle compte d’ailleurs parmi les premiers édifices cultuels de ce style réalisés en France. Elle est exactement contemporaine des grandes restaurations entreprises dans les églises médiévales de Paris (Saint-Germain-l'Auxerrois, Notre-Dame de Paris débutée en 1844) dans un contexte plus général de redécouverte de l’architecture du Moyen Age.
C’est son décor surtout qui en fait un parfait exemple de l’art néogothique : opulent, fouillé, presque pompeux, bref « flamboyant ». Il confine au genre dit « troubadour », non exempt d’un certain romanesque, comme en témoigne la façon finalement distrayante, sinon plaisante, dont la galerie des disciples renoue avec une certaine tradition médiévale.
Une question se pose alors : comment s’explique ce recours au néogothique, jusque dans ses manifestations les plus extrêmes ? Et plus particulièrement, que représente ce style à cette époque ? Répond-il uniquement à des considérations esthétiques, ou fait-il aussi écho à des valeurs et à des partis symboliques plus puissants ? Pour le courant « troubadour », la réponse est simple. Il rencontrait depuis les premières années du XIXe siècle un engouement extraordinaire dans la peinture historique et, plus encore peut-être, en littérature avec la parution d’œuvres auxquelles peut se rattacher le célèbre « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo (1831). La résurrection des formes médiévales dont il participe connaît parallèlement une vogue semblable dans tous les domaines de l’art. Sur le plan architectural, qui nous intéresse plus spécifiquement, on parle de « Gothic Revival ». En complète réaction au rationalisme des Lumières, celui-ci s’attache à mettre l’accent sur les effets visuels et les valeurs émotives de l’art. Il exalte par-dessus tout le pittoresque et le sublime. Les atmosphères de mystère qui en découlent s’accordent parfaitement avec le sentiment religieux prévalent à l’époque. Le néogothique apparaît dès lors tout spécifiquement approprié à l’architecture sacrée, celle des églises et des chapelles.
Comme de surcroit il s’inscrit dans une réaction contre un art classique issu de l’Antiquité païenne, il peut s’interpréter comme une démarche d’enracinement dans les valeurs chrétiennes. Dans cette optique, il finira d’ailleurs par se poser en symbole d’un renouveau de la foi religieuse. Dans le même temps et suivant le même processus, il fait volontiers figure de nouveau « style national » : par-delà le classicisme d’origine italienne et plus anciennement romaine et grecque, il fait référence aux traditions et au passé nationaux et ouvre ainsi une voie privilégiée vers le « génie » de la France éternelle. (A l’époque, l’architecture du XIIIe siècle, particulièrement florissante en France, se voit reconnaitre une sorte de supériorité dans l’art du Moyen Age dont le modèle se trouve dans les grandes cathédrales et chapelles palatines, et notamment Notre-Dame de Paris et la Sainte-Chapelle). Comme tel, chez les membres du clergé et des congrégations qui en ce début du XIXe siècle postrévolutionnaire reviennent se fixer sur la terre de leurs aînés, le choix du néogothique vient donc incontestablement conforter une affirmation de leur sentiment de légitimité historique.
Lithographie de la Solitude en 1826 |