8 juin 2015

Andrée, ange gardien du quartier Corentin Celton

Andrée, juillet 1995, à la veille de la retraite.
Coll. familiale
La Seconde Guerre mondiale
Andrée est d’origine normande. Elle habitait la ferme familiale avec son père et ses sœurs dans un petit village près de Vire dans le Calvados. Elle a connu la Libération pendant l’été 44 car Arromanches se trouve à environ 60 kilomètres. « Cela mitraillait… on a été pas mal mitraillé » se souvient-elle. Une cousine et sa fille ont péri lors des combats. Une autre a eu la jambe arrachée ; Andrée qui admirait son courage, faisait 20 kilomètres en vélo pour aller la voir. Quatorze jeunes qui faisaient les foins furent tuées lors d’un raid de la RAF (Royal Air Force). Durant cette période, Andrée et sa famille trouvèrent refuge avec une quarantaine de personnes dans la ferme de cousins. Un chemin creux, recouvert chaque soir de branches fraîches pour le camouflage, servait de tranchée et surtout d’abri. Parmi ces réfugiés, une femme cachait depuis des mois un aviateur américain. Tout à coup : « Les Américains sont là ! » et tout le monde se précipite. « Comme dans une opérette, ils avaient une belle tenue, ils étaient contents et balançaient du chewing-gum ».

Les premières années à Issy
Elle quitte l’école à 14 ans pour gagner sa vie. Elle ne veut pas rester dans la ferme familiale ni s’occuper des vaches laitières. Elle lit une petite annonce dans un journal et trouve une place de femme de chambre dans une famille parisienne vivant près du Louvre. Elle allait aux Halles de Baltard faire son marché. Elle vient habiter Issy-les-Moulineaux en 1952. « Tentée par le commerce », elle travaille avec sa copine Josette, au magasin d’alimentation Félix Potin (disparu) au début du boulevard Voltaire. Une partie de la clientèle était fournie par les vieilles dames des Petits-Ménages (maison de retraite devenue l’hôpital Corentin Celton). ). L’épouse d’un policier, la voyant gérer avec savoir-faire la file de clientes devant sa caisse lui lance : « Vous devriez mettre un habit de gendarme avec vos petites grands-mères. Vous savez qu’il y a des femmes dans la police ? ».
Sur recommandation d’une dame en vacances dans son village, elle devient serveuse dans une brasserie place Victor Hugo (Paris, XVIe). Puis Andrée choisit d’élever ses enfants mais, en 1968, elle envoie sa candidature au commissariat de Boulogne-Billancourt. Elle est ensuite convoquée à la Préfecture de Police à Paris, suit une formation au CAPU (Centre de Formation des Personnels en Uniforme) dans le bois de Vincennes pendant deux mois. Un ancien mannequin qui avait défilé pour Dior et Nina Ricci fait partie des recrues. Andrée déclare en conclusion que « ça m’a plu ». Le 21 septembre 1969, elle est rattachée au commissariat d’ Issy-les-Moulineaux qui se trouvait encore avenue Jean Jaurès. Elle évoque « de bons souvenirs …une ambiance formidable ».

"Madame Sifflet" à Corentin Celton
Affectée à la protection du collège Matisse 27 rue Renan, c’est « l’arrivée de la dame en bleu pour 26 ans et 42 jours » qui a « un souvenir formidable de ce quartier » Corentin Celton qu’elle connaît bien. À l’emplacement d’un immeuble plus récent près du passage de l’industrie, se trouvaient plusieurs magasins : du 31 au 33, une boucherie chevaline, l’épicerie Le Comptoir Français, la boulangerie Souesme (dont la devanture est conservée au Musée Français de la Carte à Jouer), une libraire et la bijouterie Dubois. De l’autre côté de la rue au 42, le magasin de bricolage a laissé place à une banque.
Le premier jour de sa prise de fonction, Andrée trouve « rigolo » d’aller au milieu de la rue Renan encore à l’époque à double sens pour faire traverser les piétons. C’est sous le contrôle d’un officier de police venu en vélo de Boulogne-Billancourt. Le lendemain lorsqu’elle lève brusquement le bras pour arrêter la circulation, un automobiliste qui se croit malin s’écrie : « Il ne nous manquait plus que ça ! Tu ferais mieux d’aller raccommoder tes chaussettes ! ». En revanche, les gendarmes mobiles qui passaient en car vers la porte de Versailles la saluaient en passant, ce qui faisait rire un médecin respecté du quartier quand il traversait pour aller chercher sa baguette de pain. Une autre anecdote concerne le surnom de « Madame Sifflet » que lui donnait un SDF du quartier lorsqu’il s’inquiétait de ne pas la voir.
Après la sortie des collégiens, Andrée allait assurer la circulation au croisement de l’axe boulevards Gambetta et Voltaire croisant les rues Renan et général Leclerc. « Jamais un accident », c’est sa fierté. Elle n’allait à Paris que pour les besoins du service, visites médicales et uniformes à récupérer.
Elle fut la protectrice des enfants et des plus grands du quartier, rassurés par sa présence et réconfortés par son sourire, son autorité et son humour. Si certains garnements en hiver lui ont lancé des boules de neige avec un caillou caché, d’autres « ses fidèles » venaient bavarder « de chose et d’autre » à la sortie des cours. Les contacts furent « très bien » avec les deux principales successives, la secrétaire et certains professeurs du collège Matisse ainsi qu’avec le personnel de l’école maternelle Renan.

La retraite
Lors de son départ en retraite, il y eut une petite réunion amicale avec fleurs et cadeaux. Andrée fut remplacée quelque temps par des policiers. Puis ce fut la mise en service de feux tricolores, certes prompts à interrompre le flux des voitures mais sans une petite phrase ni un sourire pour la traversée de la rue Renan désormais à sens unique.
« La chance que j’ai eue, c’est de travailler dans le quartier… Issy, c’est mon port d’attache. ». Ces déclarations serviront efficacement de conclusion. P. Maestracci


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