20 octobre 2017

Éliane Tonnel-Marchand - des souvenirs pleins la tête

Cette Isséenne nous fait revivre la vie quotidienne de son quartier, autour de l'église Saint-Étienne. Retour dans les années 1930-39.

Plan du quartier.
La rue de l’Abbé Grégoire relie la place de l’Église (ci-dessous) à la rue Auguste Gervais. À l’angle de ces deux rues, une boutique nommée La Provence vient de s’ouvrir. Elle nous propose de l’épicerie et des boissons. Un événement pour la rue si calme jusqu’alors. Il y avait des pavillons sur chaque trottoir. Côté pair une rue de terre, la rue de la Glacière coupe ce trottoir , une petite rue en pente bordée de 6 maisons fleuries d’où retentissent dès le matin de joyeux « cocoricos » ! Au numéro 5, bien cachées derrière la maison, s’ébattent autour d’un coq magnifique des poules qui partagent leur poulailler avec des cabanes à lapins et un pigeonnier. Diane, le gros chien, aboie à votre passage, non pas pour vous faire peur, juste pour vous dire bonjour. Cette petite rue se termine par un large escalier de pierres et nous voilà à la hauteur du pavillon de la famille Choux qui sera vendue après la guerre et deviendra la pharmacie Bonzel !

Place de l'Église, début XXe siècle. La photographie est prise du début
de l'Impasse Cloquet, face à la rue de l'Abbé Grégoire. Coll. particulière.
Après avoir passé la rue de la Glacière, un arrêt s’impose devant le potager de Monsieur et Madame Dumas. Ils vendent leurs récoltes : poireaux, tomates, radis, haricots verts, petits pois suivant les saisons. Ces légumes cueillis devant vous ont un goût de fraîcheur incomparable. Sous des châssis de verre des jeunes plants d’oseille ou d’épinard peut-être poussent à l’abri des oiseaux gourmands, sous de grosses cloches transparentes les salades s’arrondissent doucement alors que dans l’allée suivante fleurissent des dahlias de toutes couleurs qui se transformeront en flamboyants bouquets. Après cette halte réconfortante, la rue de l’Abbé Grégoire nous offre sur chaque trottoir des pavillons ou des petits immeubles avec côté pair un premier commerce : la Quincaillerie-Marchand de couleurs des époux Dhez. Ils vous proposent aussi bien des marteaux, des clous, des pots de peinture que des casseroles, des bassines, des balais ou des feuilles de papier bleu pour couvrir les livres scolaires.

Vue générale de la chapelle, années 1930. 


Tympan de la chapelle
Notre-Dame Protectrice des enfants
© Denis Hussenot

Face à la rue du Moulin de Pierre vient d’être inaugurée une chapelle toute rose, Notre-Dame Protectrice des Enfants (ci-contre et ci-dessus). Elle a été bénie par Monseigneur Verdier. J’ai embrassé sa bague mais je ne suis plus certaine de son nom ! La chapelle a été construite sur la Salle Paroissiale, laquelle s’ouvre sur la cour de l’école Sainte-Clotilde. Une seule messe le dimanche pour les enfants du catéchisme. La première cérémonie célébrée dans cette chapelle a été le mariage des époux Petit. Madame Petit fut l’organiste de l’église Saint-Étienne pendant de longues années.

La maison d'Éliane, remplacée aujourd'hui
par un immeuble. Coll. familiale.
Nous voilà arrivés au numéro 6  rue de l'Abbé Grégoire. C’était ma maison… La grande grille franchie, nous découvrons au fond du jardin une belle bâtisse flanquée d’une tour (ci-contre). Sur le trottoir en face il y a le même genre de bâtisse, la même tour… Ces demeures d’un autre âge donnent à la rue un petit air « bourgeois » qu’elle assume fièrement ! Dans le jardin qu’on pourrait qualifier « d’extraordinaire » comme celui de la chanson de Charles Trénet, de grands arbres plantés en fourrés ou en haies, abritent un bassin à poissons surmonté d’un rocher d’où s’écoule une cascade d’eau claire. Quel plaisir de parcourir les allées de ce jardin ou de « monter à la tour » le 14 juillet pour découvrir les feux d’artifice qui illuminent le ciel de Paris la nuit. Le jour, on découvre à droite le toit de la chapelle du Séminaire en face les hautes cheminées du Secteur électrique qui crachent une fumée grise. ; on ne parlait pas encore de « pollution ». Plus loin la tour Eiffel bien sûr, une coupole dorée, des clochers, des maisons, tout Paris s’offre à nos yeux. Le propriétaire de ce « château » s’appelait Raoul Grigi. Il était persuadé de l’existence d’un souterrain commençant au Séminaire, serpentant sous l’église, traversant le jardin et prenant la route de Versailles Assez large pour laisser la place à un carrosse … Le mystère reste entier [Pas tout à fait. Il s'agit très certainement des canalisations souterraines installées en 1867 pour l'approvisionnement en eau potable. Il y en a sous le parvis de l'église, la rue Auguste Gervais, l'avenue Jean Jaurès ; une autre descend du Fort sous la rue de la Galerie ! - Pascale]

Mais la rue avait une vie après ce numéro 6 : d’abord la boulangerie Legrand qui prêtait son four à ses clients les jours de fête quand les plats de ceux-ci étaient trop grands pour entrer dans le four du réchaud familial. En face, une épicerie la Maggi. Mme Maggi recevait le lait dans des grands bidons et le transvasait dans un bac en métal couché sur des pains de glace. Le lait ainsi conservé était vendu au litre, à l’aide d’une mesure en étain et versé dans la « boîte à lait » des clients. Une odeur de beurre, de fromage, de crémerie flottait dans cette boutique toute carrelée de faïence blanche d’une propreté sans faille. Revenons sur le trottoir des numéros pairs. Après la boulangerie Legrand, nous avons les vitrines du Comptoir Français. Elles nous proposent à la fois épicerie, vin mais aussi des graines pour les poules ou des chaussons pour l’hiver ! Les gérants sont M. et Mme Barbe. Une cordonnerie tenue par un vieil artisan dont j’ai oublié le nom vient ensuite… Petite échoppe qui nous offre des senteurs de cuir et de colle. En continuant l’inventaire des commerces situés dans cette rue, je revois le Cours des Halles Chez Delaurier ; un salon de coiffure « Hommes, Femmes, Enfants » Chez JO. Sur le trottoir des numéros impairs après la Maggi, une boucherie tenue par M. et Mme Poupine et la Charcuterie et Comestibles de la famille Cholet. Ces deux boutiques achalandées avec soin.
Cette rue était bordée de tilleuls. À l’époque de leur floraison odorante, les employés municipaux venaient les élaguer et laissaient les branches ainsi coupées 2 ou 3 jours sur la chaussée afin que l’in puisse cueillir notre provision de tisane pour l’hiver.


L'église Saint-Etienne.
La rue de l'Abbé Grégoire débouche sur l'église. Tous les Isséens connaissent l'église Saint-Étienne (ci-contre).
Sur la place, un café-tabac Chez Giraud et en face, un autre café Chez Manu où les employés des Pompes funèbres s’attablent en attendant la fin du Service d’obsèques en cours !
Quand on regarde l’église, on veut ignorer l’impasse Cloquet vers la droite. On ne s’y aventure pas tant les habitants ont mauvaise réputation. Par exemple ce jeune garçon surnommé « Ricky la Terreur ». qu’avait-il fait, le pauvre, pour mériter un tel surnom ? Combien d’Isséens savent qu’au fond de cette impasse se trouve le séminaire Saint-Paul abritant des prêtres âgés, il me semble.

Témoignage à suivre.

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