19 avril 2015

Arménie - 2

L'ORPHELINAT PUIS L'ARRIVÉE À MARSEILLE
Suite du Témoignage de Georges Mouchmoulian
(les Relais de la Mémoire, sous la direction de Frédéric Rignault,
Le Souvenir français/Atlante éditions)

Entre 1914 et 1916, plusieurs millions d'Arméniens sont déportés d'Asie Mineure vers des camps situés, majoritairement, sur le territoire de l'actuelle Syrie. Plusieurs centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants meurent de faim, de soif, ou sont tout simplement exterminés (les estimations actuelles varient de 500 000 personnes à près de 1,5 million). Il est nécessaire d'indiquer qu'en 1919, certains tortionnaires (Talaat, Cemal et Enver) sont condamnés par contumace (tribunaux ottomans), pour : « extermination d'un peuple entier constituant une communauté distincte ».
Georges Mouchmoulian se souvient : « Ma mère a profité du chaos de la fin de la guerre, de la présence des troupes grecques, pour nous envoyer en Amérique. Tout était prêt. Nous devions faire un passage par la Grèce et ensuite prendre le bateau. Oui, mais voilà, nos papiers, placés consciencieusement par nos soins dans nos baluchons, n'y étaient plus quand nous les avons cherchés. Quelqu'un de mal intentionné avait dû nous les dérober, certainement pour les vendre. Au lieu d'arriver à New York, et j'ai bien conscience que nous étions des privilégiés, nous avons atterri dans un orphelinat grec, proche de Corfou. Et quand je dis nous, c'était les garçons (nous étions sept enfants). Mes deux dernières sœurs, l'aînée était déjà installée en Amérique, se sont vues refoulées de l'orphelinat. C'était horrible. Pendant près de trois ans, elles ont vécu à côté de nous, dans le maquis, sur le port, et nous sortions, quand nous pouvions, pour leur donner une partie de nos repas. Elles ont vécu de cela, et de mendicité, pendant tout ce temps-là. Il n'y a pas longtemps encore, quand la plus jeune de mes sœurs était encore en vie, elle ne pouvait s'empêcher de pleurer en évoquant ces années.
«  Quant à ma mère... Persuadée, dans un premier temps, que nous avions réussi, elle était pleine d'espoir. Elle avait quitté la Turquie et s'était installée à Marseille. Et puis, bien entendu, elle a su. S'en sont suivis des mois et des mois de recherche. »

Marseille, terre d'asile
La cité a toujours été une fenêtre française ouverte sur la Méditerranée. Cela est vrai depuis le temps des Phéniciens. Dès la fin du XVIe siècle, il n'est pas rare d'y trouver des négociants arméniens
venant de Smyrne, d'Alep ou encore d'Adana. Ils s'y sont installés ou vont et viennent entre le Moyen-Orient et les grandes foires occidentales, comme Lyon, Troyes ou Paris.
Dès les premiers événements relatifs aux populations arméniennes, au milieu du XIXe siècle, des réfugiés politiques font le voyage de l'Empire ottoman vers la France. Puis des familles débarquent et s'installent à Marseille. Une diaspora s'organise. Des associations de défense et de solidarité se créent. Avec les massacres, le flot d'arrivants grandit ; bientôt ce sont des centaines d'Arméniens qui s'établissent dans l'antique Massilia. La commune les accueille avec compréhension et place à la disposition des réfugiés les locaux désaffectés de l'hôpital de la Vieille-Charité, sur les hauteurs du Vieux-Port. De quelques centaines, les Arméniens passent à plusieurs milliers dès 1914.

Le Mont Ararat en Arménie. © A. Bétry
Boulevard Ararat, Marseille 13e arr.
Georges Mouchmoulian continue : « Ma mère a enfin compris que nous n'étions pas en Amérique. Elle nous a cherchés, a demandé aux membres de la famille restés à Sivas de les aider dans leur démarche. En vain. Puis, elle s'est appuyée sur des associations. Bien entendu, elle n'était pas la seule dans ce cas. Alors, grâce à de nombreux réseaux arméniens, à la compréhension de Grecs formidables, elle nous a retrouvés. Et cela a mis près de trois ans. Trois années dans cet orphelinat ; trois années, dans le dénuement le plus total pour mes deux sœurs.
« Les autorités nous ont mis sur un bateau pour la France. Nous sommes arrivés à Marseille après quelques jours, ou semaines, je ne sais plus très bien - mais Dieu que le temps nous parut long. Comment décrire l'émotion qui nous a tous submergés quand nous avons foulé le sol de France ? Nous étions au début des années 1920, et enfin, la vie s'offrait à nous.
« Nous sommes restés quelques mois à Marseille puis nous avons gagné Paris. Mes frères ont trouvé du travail et moi j'ai grandi. Je suis devenu garçon coiffeur. » (à suivre)

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