26 janvier 2017

La crue de la Seine à Issy-les-Moulineaux - janvier 1910 - le bilan

Voici le dernier épisode extrait de la publication, "L'inondation d'Issy-les-Moulineaux" de J. Hubert. Souvenez-vous, du 27 au 30 janvier, le niveau de l'eau n'a fait que croître. Il faut parer au plus pressé.


3. Courage et dévouement

« A quelque chose malheur est bon, dit le proverbe ; en effet, cette terrible catastrophe détermina un sublime élan de solidarité. Des rancunes s'oublièrent, des mains ennemies se tendirent spontanément, des cœurs endurcis dans la haine s'amollirent: il y eut union étroite dans un effort magnifique pour lutter contre le fléau et ses désastreuses conséquences. La mairie avait été, dès le 23 janvier, encombrée de sinistrés demandant des secours ; dans les jours qui suivirent, ce fut, on peut le dire, une véritable inondation ; mais l'assistance ne se montra pas inférieure aux besoins.

Rue Rouget de l'Isle.

« Le 27, les distributions de vivres commencèrent. On créa sept refuges, où toutes les familles atteintes par le désastre furent logées et hébergées. Tous ceux qui avaient des locaux vides les mirent à la disposition de la municipalité; des particuliers qui avaient une chambre inoccupée invitèrent de pauvres gens sans logis à en prendre possession. Il s'accomplit là des actes de bonté, de charité, de solidarité, le mot importe peu, qui réjouissent le cœur. On vit dans l'un de ces refuges une mère de famille allaitant un enfant donner le sein alternativement au sien et à celui d'une de ses compagnes d'infortune dont le lait s'était tari sous l'impression de l'épouvante. Comme la mère en détresse la comblait de remerciements : “Laissez donc, répondit-elle, quand il y en a pour un, il y en a pour deux.“ Et, inlassablement, pendant quinze jours, cette admirable femme allaita les deux bambins avec la même sollicitude.

Plaine Coutures, dans le quartier Citeaux.
« Montrouge envoya une délégation pour recueillir des enfants de sinistrés. Après bien des hésitations à se séparer de leurs chers petits, quelques chefs de familles nombreuses se décidèrent, en pleurant, à confier leurs aînés à ces personnes charitables, mais inconnues. Combien alors étaient touchantes, dans leur simplicité, les recommandations faites à ces pauvres enfants! “Tu seras bien sage, dis, tu nous écriras. Ne pleure pas, nous irons te voir et nous reviendrons chez nous ; mais sois bien raisonnable et bien poli.“ Que ces séparations étaient tristes et émouvantes! Malakoff vint aussi chercher des familles entières.

« Toutes les communes de la circonscription participèrent au soulagement des infortunés d'Issy en envoyant des fonds, du linge, des vêlements, qui furent distribués aussitôt. Chacun s'employa sans compter, et, chose utile à dire, quoiqu'elle soit bien naturelle, sans distinction d'opinion à soulager des misères qui renaissaient sans cesse.

Les sapeurs-pompiers d'Issy-les-Moulineaux, sous le commandement
du capitaine Vincent (au centre en haut).

« Comme toujours dans les grandes catastrophes, des dévouements sublimes côtoyèrent des faits inqualifiables de brigandage. Des individus abjects profitèrent, du désordre causé par cet effroyable désastre pour dévaliser de pauvres logements abandonnés à la hâte ; mais, grâce à la vigilance du maréchal des logis et de ses hommes, de M. Souillard, commissaire de police, de son secrétaire et de es agents, ces actes de cambriolage furent promptement arrêtés. L'un de ces gredins paya même, dit-on, de la vie une tentative de ce genre.

Les cantonniers d'Issy.

« La municipalité confia à vingt-deux commissaires, pris parmi les conseillers non sinistrés et parmi les notables de la commune, le soin de faire l'estimation des dégâts causés par l'inondation, et il résulte du travail auquel ils se sont livrés que les pertes matérielles peuvent être évaluées à la somme de 8 millions. Ce chiffre paraît énorme, mais il n'a rien d'exagéré pour celui qui a vu en détail dans quel état l'eau, qui a séjourné pendant quinze jours dans les rez-de-chaussée et dans quelques premiers étages, a laissé les meubles qui s'y trouvaient. Ils étaient lamentables, ces pauvres mobiliers : les lits, les armoires, les buffets décollés, éparpillés à travers les pièces; les parquets soulevés, ondulés; les tables gondolées ; les chaises en morceaux; la literie, les tentures, les sièges garnis, recouverts d'une boue immonde et puante, un piano fut retrouvé les pieds en l'air. Dans les usines, des machines-outils, d'un poids cependant respectable, étaient arrachées de leurs socles. Ces effets de l'eau en furie sont inimaginables.

4.  Épilogue

« Nous n'avons pas la prétention d'avoir fait le tableau complet de l'effroyable cataclysme au milieu duquel a failli disparaître la ville d'Issy-les Moulineaux, mais d'avoir apporté la contribution de nos souvenirs à l'historien qui la racontera plus tard dans tous ses détails. Au lecteur qui se plaindrait du désordre de notre récit, nous répondrons que les grandes catastrophes ébranlent l'âme humaine et que, témoin oculaire des scènes qu'il raconte, le rédacteur de ces lignes en a reçu une impression dont il n'est pas remis encore et dont il ne se remettra jamais.

« Nous aurions voulu pouvoir signaler ici toutes les bonnes volontés, donner les noms de ceux qui, avec un sublime courage, ont coopéré aux sauvetages : malheureusement, le nombre en est trop grand, et le cadre dont nous disposons ne suffirait, pas. Il nous faut, bon gré mal gré, recourir à un modeste exposé et dire bien haut qu'à tous les degrés de l'échelle sociale chacun a fait son devoir avec la plus louable ardeur ! Le malheur qui a frappé notre chère commune a pris, dans la France entière, l'étendue d'un désastre. Puis, du dehors, par dessus les frontières, sont venus et s'affirment encore les témoignages de sympathies qui attestent, au milieu de ces sombres épreuves, la solidarité humaine de toutes les nations. ». Fin.






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