1 mai 2021

La bataille d'Issy, 1er mai 1871

Plusieurs témoins vont raconter cette semaine cruciale de début mai 1871, date à laquelle fédérés et communards quittent le Fort. Laissons-leur la plume.

Victorine Brocher (1839-1921)

Parisienne, communarde puis anarchiste, ambulancière, très proche de Louise Michel, elle publie, en 1909, ses Souvenirs de la Commune dont sont extraites ces quelques lignes.
V. Brocher. © XDR

 Nuit du 29 au 30 avril.
La garnison fédérée évacue le fort d’Issy… Victorine Brocher (ci-contre), se réfugie au petit séminaire [la Solitude de Saint Sulpice (ci-dessous)tout proche : 
« Les pères nous avaient prêté la vaisselle nécessaire pour notre dîner, ils nous avaient même préparé des lits pour nous reposer si nous le désirions. A moi, ils m’offrirent pour dormir une petite chambre au rez-de-chaussée, très propre que j’ai acceptée avec plaisir […] 
Malheureusement, nous n’avons pas pu profiter de leur offre. Lorsque nous étions en train de manger, nous reçumes une décharge bien nourrie, toutes les vitres se brisèrent avec un fracas terrible. Nous étions bombardés presque à bout portant. Le séminaire tremblait sur sa base, c’était effrayant.

Le séminaire Saint Sulpice et la Solitude. © XDR

« Le 4 mai, nous quittâmes Issy pour retourner à Paris. Lorsque nous défilâmes, notre drapeau en tête, percé par plusieurs balles et entouré d’un crêpe noir en signe de deuil, notre tristesse enthousiasma la foule, dans les rues, sur les boulevards […] on nous jeta des fleurs et des branches de feuillages ».



Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901)

Lissagaray. © XDR
Fédéré et journaliste, créateur du journal l’Action, puis du Tribun du peuple, auteur de l’Histoire de la Commune de 1871, Prosper-Olivier Lissagaray (ci-contre) raconte :

« 1er mai : au Fort

L’orgueilleuse redoute n’était plus un fort, à peine une position forte, un fouillis de terre et de moellons fouettés par le obus. Les casemates défoncées laissaient voir la campagne ; les poudrières se découvraient ; la moitié du bastion 3 était dans le fossé ; on pouvait monter à la brèche en voiture. Une dizaine de pièces au plus répondait à l’averse des soixante bouches à feu versaillaises ; la fusillade des tranchées ennemies visant les embrasures, tuait presque tous les artilleurs.

« Le 3 mai, les Versaillais renouvelèrent leur sommation ; ils reçurent le mot de Cambronne. Le chef d’état-major laissé par Eudes avait filé. Le fort resta aux mains vaillantes de deux hommes, l’ingénieur Rist et Julien, commandant du 141e bataillon-XIe arrondissement. A eux et aux fédérés qu’ils surent retenir, revient l’honneur de cette défense extraordinaire ».

Georges Rist (1842-1889) 

Georges Rist, évoqué par Lissagaray précédemment, est un ingénieur civil. Chef de bataillon du Génie durant la Commune de Paris, il défend jusqu'au bout - 8 mai 1871 - le fort d'Issy, aux côtés du commandant Julien, chef du 141e bataillon de la garde nationale. Voici quelques extraits de leur Journal : 

4 mai : « … Les fourgons n’arrivent plus ; les vivres sont rares et les obus de 7, nos meilleures pièces, vont manquer. Les renforts promis tous les jours ne se montrent pas… Nos ambulances sont combles ; la prison et le corridor qui y conduit sont bourrés de cadavres ; il y en a plus de trois cents…  »


Le Fort en ruines. © Alphonse Liébert

5 mai : « Le feu de l'ennemi ne cesse pas une minute… Il y a maintenant, dans les cachots, des cadavres jusqu'à deux mètres de hauteur… »
6 mai : «… La batterie de Fleury nous envoie régulièrement ses six coups toutes les cinq minutes. On vient d’apporter à l’ambulance une cantinière qui a reçu une balle dans le côté gauche de l’aine. Depuis quatre jours, il y a trois femmes qui vont au plus fort du feu relever les blessés. Celle-ci se meurt et nous recommande ses deux petits enfants. Plus de vivres. Nous ne mangeons que du cheval. Le soir le rempart est intenable… »
7 mai : « … Nous recevons jusqu’à dix obus par minute. Les remparts sont totalement à découvert. Toutes les pièces, sauf deux ou trois, sont démontées… Il y a trente cadavres de plus… »

Le curé Joseph Perdrau 

Et notre curé de l'église Saint-Étienne ? Il a rejoint sa cure fin février, raconté ce qui se passait en avril et voilà la suite de son témoignage.

 « Le chaud de la bataille commença le 1er mai et dura jusqu’au milieu de la nuit du 8 au 9. Le lundi 1er mai, mon presbytère fut envahi par des gens de forte mauvaise mine. Ils me constituèrent prisonnier et me défendirent de sortir sous peine de mort. Les Communeux s’établirent dans mon rez-de-chaussée ; la salle à manger leur servait de corps de garde. Je m’étais réfugié dans la cuisine où je couchais avec Boëte mon sacristain, qui ne m’a pas quitté d’un instant. J’allais et je venais, sans être suivi, dans mon presbytère dans le jardin. Vers midi, j’escaladais le mur mitoyen de la Solitude, et je descendais au grand séminaire de Philosophie où je prenais mes repas. 

Eudes. © XDR
 « Le général Eudes (ci-contre) s’y était installé dans l’appartement du supérieur général ; la salle de communauté faisait écurie. Les directeurs seuls étaient restés. Rien de plus curieux que ce mélange de prêtres à qui on ne disait rien, qui vaquaient tranquillement à leurs exercices de piété, au milieu de tout ce brouhaha de gens armés, de cantinières, et de chevaux disséminés dans les parterres ; il faisait un temps splendide.

On se battait la nuit sur toutes les hauteurs ; la fusillade se rapprochait chaque soir. Je n’étais nullement inquiété dans mon presbytère. Les hommes de garde changeaient chaque jour. C’étaient pour la plupart de braves ouvriers fort étonnés et très ennuyés d’être si loin de leur ménage. Je leur servais de secrétaire (…)


 « Le bombardement, soir et matin, devint si violent, qu’à partir de mercredi [3 mai], je dus abandonner le séminaire et rester chez moi… Cependant les Versaillais étaient entrés dans le parc d’Issy ; ils y ouvrirent des tranchées qui aboutirent bientôt sur la place du château. Il fut pris à la volée (ci-dessous). Le lendemain matin [4 mai], j’étais sur la terrasse de mon jardin, me chauffant au soleil avec quelques Communeux.  

Le chateau en ruines. © XDR

 « Le 4 mai, je pus encore dire la messe ; j’avais mis une pierre sacrée sur une toute petite  table dans ma chambre du premier ; deux bougies sur des chaises, mon missel à la main. Pendant le dernier évangile, un obus tomba sur le presbytère. La messe achevée, Boëte et moi, montâmes dans le grenier ; l’obus n’avait pas éclaté. Boëte alla le chercher et le porta avec révérence dans un seau d’eau. Nous-même résolûmes d’aller habiter la cave, et nous y portâmes des matelas et le nécessaire. Cette cave ouverte sur le jardin faisait casemate sur la cour d’entrée.

 
Issy bombardé devant l'église
« Pendant trois jours, le bombardement fut terrible ; à 9 heures et à 16 heures, nous étions sous une pluie de fer. Presbytère, église, chapelle de la Solitude (ci-contre), tout s’écroulait sous nos yeux. Entre les heures du bombardement, des fusillades reprenaient sans cesse : plusieurs balles vinrent mourir à mes pieds ; il y en eut une qui entra si droit dans un des carreaux de la fenêtre du presbytère qu’elle fit son trou sans casser la vitre.Le gros de l’action se passait autour du fortDu clocher, nous voyions des nuages de poussière s’élever en tourbillon vers le ciel. Les Communeux couraient  en tous sens et tombaient morts sur les routes. Pauvres gens ! je leur envoyais l’absolution et je priais.  

Intérieur de l'église. ©XDR

«  Le samedi [6 mai] Ce fut le tour de l’église (ci-dessous), il n’en resta plus que le gros œuvre.   Quand j’y entrai le dimanche [7 mai] de grand matin, je trouvai l’orgue couché au milieu de la nef ; les toits de la voûte effondrés ; les poutres gisant par terre, mêlées aux chaises et à la chaire : tout était saccagé, le jardin était ravagé : des trous à enterrer des chevaux ; les meubles du presbytère passés par les fenêtres et pulvérisés ; mon linge éparpillé : mes longs bas de laine pendants aux branches des tilleuls, comme des grappes noires. Qu’il me suffise de dire qu’après le siège que nous avons subi, l’artillerie ramassa de quoi charger trois camions d’éclats d’obus et de mitraille ramassés dans ma cour, mon presbytère, l’église et le jardin.
 « Le 7 mai, dimanche, fut tranquille. »


La presse se mobilise comme on vient de le voir avec Lissagaray. Mais il n'est pas tout seul. Vous allez voir.  PCB
Prochain rendez-vous, le 4 mai, 8 h. 

 

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