20 mai 2021

"L'Année terrible" de Victor Hugo - mai 1871

Victor Hugo © Nadar

Vous avez suivi la Bataille d'Issy. Si le calme revient peu à peu dans les rues d'Issy et des Moulineaux, les combats ne sont pas terminés. Les Versaillais entrent à Paris, défendue par  les communards et les fédérés de la Garde nationale. Du 21 au 28 mai, c'est la "semaine sanglante". Les barricades sont prises les unes après les autres ; les victimes se comptent par milliers ; les grands monuments parisiens brûlent : le palais des Tuileries, l'Hôtel de ville, le Palais de Justice… 

Voici un extrait de "l'Année terrible" de mai, le dernier que nous publions… mettant en avant ce face-à-face incompréhensible pour le poète entre ces deux pouvoirs français !

Mai

Soit. De ces deux pouvoirs, dont la colère croît, 
L'un a pour lui la loi, l'autre a pour lui le droit ; 
Versailles a la paroisse et Paris la commune ;
Mais sur eux, au−dessus de tous, la France est une ; 
Et d'ailleurs, quand il faut l'un sur l'autre pleurer, 
Est−ce bien le moment de s'entre−dévorer, 
Et l'heure choisie pour la lutte est−elle bien choisie ? 

O fratricide! Ici toute la frénésie
Des canons, des mortiers, des mitrailles ; et là
Le vandalisme ; ici Charybde, et là Scylla. 
Peuple, ils sont deux. Broyant tes splendeurs étouffées, 
Chacun ôte à ta gloire un de tes deux trophées ;
Nous vivons dans des temps sinistres et nouveaux,
Et de ces deux pouvoirs étrangement rivaux 
Par qui le marteau frappe et l'obus tourbillonne, 
L'un prend l'Arc de Triomphe et l'autre la Colonne ! 

Mais c'est la France! Quoi, Français, nous renversons 
Ce qui reste debout sur les noirs horizons !
La grande France est là ! Qu'importe Bonaparte ! 
Est−ce qu'on voit un roi quand on regarde Sparte ? 
Otez Napoléon, le peuple reparaît. 
Abattez l'arbre, mais respectez la forêt.
Tous ces grands combattants, tournant sur ces spirales, 
Peuplant les champs, les tours, les barques amirales, 
Franchissant murs et ponts, fossés, fleuves, marais, 
C'est la France montant à l'assaut du progrès.

Justice! ôtez de là César, mettez−y Rome.
Qu'on voie cette cime un peuple et non un homme; 
Condensez en statue au sommet du pilier
Cette foule en qui vit ce Paris chevalier,
Vengeur des droits, vainqueur du mensonge féroce ! 
Que le fourmillement aboutisse au colosse !
Faites cette statue en un si pur métal
Qu'on n'y sente plus rien d'obscur ni de fatal; 
Incarnez−y la foule, incarnez−y l'élite ;
Et que ce géant Peuple, et que ce grand stylite
Du lointain idéal éclaire le chemin,
Et qu'il ait au front l'astre et l'épée à la main ! 

 

Victor Hugo assiste à ces terribles événements depuis Bruxelles, d'où il est expulsé à la fin du mois de mai. Il se réfugie alors dans le grand duché du Luxembourg et rejoindra la France fin septembre. PCB

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