11 décembre 2025

Sainte Lucie

Nous approchons du 13 décembre, fête de Sainte Lucie. C’est le vocable d’une église d’Issy-les-Moulineaux sise rue de Verdun et de sa paroisse, et l’appellation d’une allée et d’un mémorial adjacents, tous décrits par des articles précédents d’Historim. Mais que sait-on du personnage lui-même, méconnu en France et pourtant vénéré dans de nombreux pays ?
Précisons d’abord qu’il existe une bonne dizaine de Saintes Lucie (on compte à ce jour quelque 10 000 saints dans l’Eglise catholique, soit beaucoup plus que de prénoms dans le calendrier). Renseignement pris auprès de la paroisse, c’est sous la protection de la plus fameuse d’entre elles, Lucie de Syracuse, que se place l’église de notre ville, la sainte justement célébré le 13 décembre.





Elle serait née vers 285 après J.-C. à Syracuse en Sicile, donc dans l’empire romain. Issue d’un milieu aisé, mais perdant jeune son père, elle est principalement élevée par sa mère, Eutichia. A l’époque, Constantin n’a pas encore publié son décret de tolérance de Milan (ce ne sera qu’un demi-siècle plus tard). Le paganisme s’impose donc aux citoyens romains. Mais pas à Lucie. Comme d’autres, elle s’est secrètement convertie au christianisme. Elle voudrait même consacrer sa vie à Dieu. Mais elle n’en dit prudemment rien.
Or sa mère tombe malade. Elle souffre d’hémorragies qui la consument. Les médecins sont impuissants. Que faire ? Catane, autre grande cité de la côte orientale de Sicile, est à deux jours de marche. Elle abrite les reliques de Sainte Agathe, la grande sainte régionale, martyrisée un demi-siècle plus tôt et réputée pour sa bienveillance. Désormais sainte patronne de Catane, ne pourrait-elle intervenir en faveur de la malade, pour autant que des prières intenses et sincères lui soient adressées ? Mère et fille se mettent donc en route, prient sur la tombe de la sainte, et c’est en effet le miracle : Eutichia est guérie ! Mieux, Sainte Agathe apparaît en songe à Lucie. Elle lui désigne la pureté de son cœur comme la vraie raison du prodige.
La vision convainc définitivement la jeune fille. Revenue à Syracuse, elle révèle son vœu, désormais irréversible. Elle donnera sa dot aux pauvres et vouera sa virginité à Dieu (les couvents n’existent pas encore). Or elle était bien sûr promise à un futur époux. Celui-ci le prend très mal. Furieux et visiblement non chrétien, il se venge. Il dénonce le crypto-christianisme de Lucie au préfet. C’est l’époque des persécutions de Dioclétien. Appliquant la loi, le préfet ordonne un crescendo de punitions. De façon inexplicable, elles s’avèrent inopérantes. Pire, au cours de son procès, un juge tombe amoureux des beaux yeux de Lucie ! Ce qui est très inconvenant : par mépris, la jeune fille se les arrache, apparemment sans plus de dégâts, et les fait remettre à l’importun[i]. Agacé par ces sortilèges à répétition, le préfet finit par exiger le châtiment suprême : la mort par décapitation. Cette fois, l’ordre paye. Lucie tombe sous l’épée le 13 décembre 304 (ou 305 ou 310 selon les sources). Elle deviendra la sainte patronne de Syracuse et même, de façon informelle, de toute la Sicile. Sans surprise, elle protège aussi les ophtalmologistes et oculistes … et leurs patients.
On n’a bien sûr aucune preuve historique des faits. « Lucie » vient du latin lux/lucis qui signifie « lumière », symbole de Dieu et de notre foi en Lui. A une époque où le bon peuple ne mesurait pas le temps à beaucoup mieux qu’une heure près, le 13 décembre pouvait passer pour le jour le plus court de l’année[ii], et donc celui à partir duquel la lumière renait ensuite, autre image divine (comme il en a été pour le choix des 25 décembre et 6 janvier pour Noël et Epiphanie).
Vénérée par l’Italie méridionale, chantée par Dante, la sainte est aussi de façon plus surprenante objet de dévotion dans les pays scandinaves, pourtant protestants. Qui a été au Danemark et surtout en Suède un 13 décembre n’a pu être que frappé par les ferventes et étonnantes célébrations à base de couronnes de bougies en son honneur. Mais pourquoi dans ces deux extrêmes nord et sud de l’Europe, et non dans les pays situés entre les deux ? On ne sait. La Sicile était une étape fréquente sur la route de la Terre sainte. Des pèlerins scandinaves passés par l’île ont peut-être transplanté la tradition à cette occasion. Lucie est aussi très populaire dans certaines communautés américaines et a donné son nom à une île des Caraïbes.
Sauf oubli de l’auteur, Sainte Lucie, Garibaldi et Verdi sont enfin les trois seuls Italiens (au sens d’avoir vécu et agi en Italie) dont des voies d’Issy portent le nom.
Illustration : Sainte Lucie par Gandolfino d’Asti, vers 1500   
Pierre Baland, 07/12/2025

[i] Il existe plusieurs variantes de cet épisode essentiel de son hagiographie.

[ii] D’autant qu’il s’agissait du calendrier julien, aujourd’hui notre 26 décembre, mais dont on gardé le chiffre nominal 13 pour la fête

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