6 avril 2012

Les Richard - Isséens depuis 1867 !

Historim s'intéresse à la mémoire isséenne, ai-je dit un jour à une charmante et discrète voisine. « Nous sommes isséens depuis longtemps », m'annonce presque timidement Madame Richard. Aussitôt, je lui demande si elle veut bien me donner quelques précisions sur son histoire familiale. Elle me raconte que son grand-père paternel, né à Issy en 1867, a travaillé chez Gévelot et est mort à Issy en 1946 ; que sa grand-mère paternelle, née elle aussi à Issy en 1869, y est décédée en 1959 ; que son père, né à Issy en 1894, a intégré la SNCF, et que son oncle, lui aussi né à Issy en 1902, est parti en Chine rejoindre la Compagnie Française des Tramways Électriques de Shanghaï. Et moi, dit-elle, je n'ai jamais quitté Issy depuis ma naissance !

Mais laissons-lui la parole (transcrite par elle-même sur sa machine à écrire- en italique dans le texte).
Je suis née en 1924 à Issy-les-Moulineaux et jusqu'en 1968, j'ai résidé au 8, allée des Citeaux, puis ensuite rue Horace Vernet. Au début, l'allée des Citeaux était fermée à la circulation par une chaîne. C'était un terrain de jeux bien tranquille pour les nombreux enfants de cette allée. J'ai souvenance de descentes en traîneaux fabriqués avec les moyens du bord par les garçons. Parfois, un chevrier passait avec son troupeau pour vendre ses fromages (prudemment je restais à l'abri). Derrière notre maison nous disposions de petits jardinets. Au delà, c'était le dépôt du charbonnier Cholet.
Quartier de la Mairie:
Une épicerie portait le nom "A la grâce de Dieu". A l'emplacement de la Caisse d'Epargne : une maison de musique, disques, etc... que je fréquentais assez souvent. Une rue disparue : la rue Prudent-Jassedé, à l'emplacement de Monoprix. A côté du Séminaire : un grand terrain tenu par un maraîcher.
Quartier Corentin Celton :
Bd du Lycée: une ferme. Une mercerie à l'enseigne de la Tour Eiffel.
Quartier de la Ferme :
Une autre ferme au carrefour de la Ferme et de la rue Gévelot. (La dernière vache élevée n'a quitté son étable qu'en 1960). 
L'explosion de l'usine Gévelot. © Le Petit Journal illustré.
Les usines à IssyLa Blanchisserie de Grenelle, les Lampes Mazda, l'Imprimerie Le Moniteur, La manufacture des Tabacs, Javel La Croix, La brasserie des Moulineaux (et sa bière), l'usine Gévelot  (la porte d'accès a été conservée, à côté d'Auchan) Dans cette usine, un grave incendie s'est produit. Des ouvriers ont été gravement blessés, le feu s'étant attaqué aux munitions entreposées. Le champ de manoeuvres, maintenant champ d'aviation, était ouvert au public. J'allais m'y promener avec une vieille dame et son chat : nous ramenions des bouquets de fleurs des champs. 
Encore quelques souvenirs : 
Inauguration du prolongement de la ligne de métro n°12 jusqu'à la mairie d'Issy (transport gratuit le 1er jour). Avant un tramway fonctionnait avec arrêt à la Porte de Versailles, un octroi était perçu sur certaines denrées à leur entrée en ville. Très longtemps les rails du tramway sont restées apparentes sur le parcours.
Au Fort d'Issy, à côté du cimetière, il y avait un Tir aux pigeons.
J'habite actuellement rue Horace Vernet à l'emplacement occupé précédemment par la maison Félix Potin. A côté un pavillon : dans leur cours, les propriétaires ont conservé un grand hangar, c'était une écurie pour loger les chevaux. (La maison de mes voisins a maintenant plus de cent ans) 
Pendant la guerre, les années noires sous l'Occupation, les alertes nous contraignaient à descendre aux abris même la nuit. Pour nous, c'était au 39, avenue Victor Cresson. En avril 1943, bombardement de l'usine Renault è Billancourt. Une bombe est tombée dans le chantier derrière notre maison. 
Les 19-25 Août : Libération de Paris. J'ai noté sur un carnet le déroulement des événements : -samedi 19 Août : on pose un drapeau tricolore à la Mairie occupée par les FFI. A 16h30, mitraillage, fusillade jusqu'au soir et une partie de la nuit» ; -le 20, toujours fusillade ; -le 21, Paris se bat, pas de métro ; -le 22, toujours fusillade ; -le 23, on entend le canon par instants ; - le 24, édification de barricades rue Danton et rue Auguste Gervais. Arrivée des troupes du Général Leclerc, à 19h30, Place de la Source ; - le 25, scènes de lynchage rue Hoche. J'ai vu plusieurs femmes tondues dans la cour de l'immeuble (à côté de l'auto-école actuelle) ; - samedi 26, nous allons à pied aux Champs Elysées. Fusillade dans tout Paris. Cette nuit les allemands bombardent Paris ; -le 27, toujours pas de transports. 


Continuons notre entretien. 
Madame Richard a une grande culture artistique et musicale. Passionnée d'opéras , elle est très érudite et possède une discothèque impressionnante. Elle a été formée par son père et son oncle, fervents d'opéras. Toute jeune, pendant la guerre et malgré le couvre-feu, elle allait avec une amie à l'Opéra Comique et s'installait au poulailler. Elles rencontraient souvent en rentrant par le « dernier métro » un électricien qui leur racontait les potins de l'Opéra ! De même, toujours dans le dernier métro, elles voyaient Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Elle apprécie aussi les ballets et se souvient d'Yvette Chauviré et de Serge Lifar. Ni les études ni le travail ne l'ont empêchée d'aller à 1'Opéra. 
L'école des filles, place Voltaire (Corentin Celton).
© musée de la carte à jouer.
Après des études primaires à l'école Henri Tariel (Anatole France), puis le Brevet à l'école Voltaire (elle aussi disparue place Corentin Celton), elle a obtenu un diplôme de secrétariat comptabilité à l'école commerciale « Institut Léopold Bellan », rue du Rocher à Paris. Elle est entrée ensuite à EDF en 1942, y a connu son mari qu'elle a épousé en 1947. Et en 1949, ils ont eu un fils ... qui habite lui aussi Issy ! Et elle a bien entendu converti mari et fils à l'opéra ! Elle continue d'y aller avec son fils... 

Bravo pour votre culture et votre mémoire musicale, Madame Richard ! Et quelle lignée mélomane isséenne ! Jacqueline Brouillou

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