10 juin 2025

Macerata, Issy-les-Moulineaux, destins croisés

Distantes de 1300 km et jumelées depuis 1982, les deux villes d’Issy et de Macerata semblent s’être accomplies en résonnance l’une de l’autre. Elles ont été exposées aux mêmes soubresauts de l’Histoire, bien qu’à des époques ou de façon parfois un peu différentes … ce qui ne fait qu’accroître l’attrait de la comparaison.

Même origine romaine par exemple, mais non simultanée. L’Helvia Recina latine, l’ancêtre de Macerata, aurait été créée un ou deux siècles avant Jésus-Christ. Ce qui allait devenir Issy l’a été après la conquête de César, donc un peu plus tard. Pour les deux, la date précise semble s’être perdue. Et l’une et l’autre gardent la trace de leur passé romain : dans la pierre pour Macerata où subsistent quelques ruines, dans son plan pour Issy dont l’axe principal suit le tracé d’une importante voie romaine.

         Les restes romains d’Helvia Recina, future Macerata. 
A partir du Vème siècle et de la chute de l’empire, les deux tombent aux mains de barbares migrants, Francs ici, Goths là-bas. La mémoire des siècles suivants s’est largement effacée, mais on peut supposer que l’une et l’autre cités se sont resserrées autour de quelque forteresse protectrice en leur centre, peut-être entourées d’enceintes à certaines époques. Une différence, toutefois : Issy n’était qu’à un jet de pierre de ce qui deviendra bientôt Paris et le siège du pouvoir royal, alors que Macerata ne se situe dans le voisinage d’aucune agglomération comparable qui puisse la prendre sous son aile. On sait ainsi qu’Issy dépendait en partie de la puissante et riche abbaye de St-Germain des Prés à laquelle elle restait liée par cette décidément inusable voie romaine. On ignore ce qu’il en était pour Macerata.

Les choses deviennent plus claires après l’an mil. Les écarts aussi. Le royaume des Francs s’affirme. Issy y gravite dans l’orbite de seigneurs laïques ou religieux vassaux d’un roi. L’Italie émiettée voit au contraire émerger les communes dites « libres » : chacune se taille son pré-carré autonome. Une victoire remportée sur une cité rivale permet à Macerata de s’en octroyer le droit en 1134. Elle le conservera pratiquement jusqu’à l’unification italienne, en tout cas nominalement.

Le XIIIème siècle est celui des Universités. L’Eglise perd le monopole de l’enseignement qu’on dirait aujourd’hui « supérieur », ce qui révolutionne le monde de la pensée. L’Université de Paris, dont les statuts sont approuvés en 1213, est la première au monde à en porter le nom. Son rayonnement s’étend à l’Issy toute proche (et dont les écoles supérieures actuelles sont, somme toute, un lointain héritage). Isolée, la commune autonome de Macerata doit en revanche créer la sienne. C’est chose faite en 1290. Plus de sept siècles après, elle reste l’une des plus grandes d’Italie, voire la première rapportée à la population de la ville.

Quatre ans plus tard, en 1294, se produit l’un des plus grands prodiges de l’histoire de la chrétienté. Des anges apportent de Nazareth la maison de la Vierge Marie qui menaçait ruine et la déposent intacte au lieu-dit de Lorette. C’est à quelques heures de marche de Macerata. Immédiatement, les foules arrivent, de Macerata puis de toute l’Europe. Le pèlerinage à Notre-Dame de Lorette devient le plus important du monde occidental. Trois siècles plus tard, un certain Jean-Jacques Olier malade des yeux s’y rend à son tour. Il y est miraculeusement guéri. Revenu bouleversé et riche d’une nouvelle vision cette fois spirituelle, il décide de se consacrer à la formation des prêtres. C’est le point de départ du séminaire de St-Sulpice bientôt installé au cœur d’Issy. Une réplique de l’oratoire de Lorette y rappelle le double miracle. Et à Macerata, le premier samedi de juin, s’ébranle toujours chaque année l’antique pèlerinage : 80 000 participants à la dernière édition …



Le pèlerinage à Notre-Dame de Lorette vers 1700 (dans « Les délices de l’Italie » d’Alexandre de Rogissart). Crédit Catawiki


En 1320 et signe de son importance croissante, le pape (français) Jean XXII fait de Macerata le siège d’un évêché. Elle l’est toujours, un honneur que ne recevra en revanche jamais Issy (dans une France qui, il est vrai, compte trois fois moins de diocèses que l’Italie).

La Renaissance apporte un âge d’or aux deux cités, mais à un siècle d’écart – comme dans les deux pays en général. 

Le XVIème siècle voit Macerata se couvrir de palais privés et publics, et ses institutions s’enrichir d’académies culturelles. Souvent attirés par la proximité de Lorette, les voyageurs étrangers la visitent, à commencer par Montaigne et Cervantès. Le siècle suivant, c’est au tour d’Issy de devenir lieu de villégiature ou d’habitation pour plusieurs grands personnages, de la reine Margot aux princes de Conti, et d’échanges savants à l’image des « entretiens d’Issy » qu’abrite le séminaire.

Le XVIIIème siècle s’achève sur le premier contact officiel de la France avec Macerata … sous la forme des invasions napoléoniennes. Elles n’y laisseront pas que des bons souvenirs. S’y illustre le général J. - Ch. Monnier qui, revenu dans nos terres, est aujourd’hui inhumé au cimetière St-Sulpice à Paris, sis rue de Vaugirard et donc sur cette même voie romaine déjà citée : comme le monde est petit ! Et en 1815, tandis que l’empereur voit à Waterloo ses derniers projets se consumer dans une bataille funeste qui s’achèvera dans les rues d’Issy, c’est à Tolentino près de Macerata que son beau-frère et roi de Naples Murat subit exactement le même sort.

 Mai 1815, la bataille de Tolentino près            
de Macerata (par Vincenzo Milizia). 

 


                


Quarante-cinq ans plus tard, une autre aventure bonapartiste et transalpine finira mieux. Napoléon III apporte en effet un soutien décisif à l’unification italienne. Et alors qu’il entre à Milan sous les vivats de la foule, Macerata se rallie avec enthousiasme à la nouvelle nation. L’empereur aura la main moins heureuse en France en 1870. Le désastre de Sedan y conduit droit aux deux sièges successifs et dévastateurs d’Issy, celui par les Prussiens, puis celui pire encore par les Versaillais cherchant à investir Paris.

Alors avantage Macerata ? Non, car la révolution industrielle va se charger de rétablir l’équilibre. Si la proximité d’Issy avec Paris lui permet d’en profiter pleinement, l’éloignement de Macerata de tout centre démographique ou ressource minière d’importance aboutit au résultat inverse. Notre ville apprend ainsi dès le début des années 1920 à gérer l’afflux de main d’œuvre étrangère. Macerata y sera aussi confrontée, mais soixante-dix ans plus tard, à la chute du communisme (notamment celui des Balkans tout proches).

Occupées par l’Allemagne pendant la guerre, à partir de 1940 pour Issy et de 1943 pour Macerata, les deux villes sont libérées mi-1944 à dix semaines d’écart. Plus pacifiquement, le pape Jean-Paul II honore en juin 1980 le séminaire d’Issy de sa visite. Celui de Macerata connaîtra le même honneur treize ans plus tard, pratiquement jour pour jour.

Quand elles s’associent en 1982, les deux villes ont pratiquement la même population, autour de 45 000 âmes. Depuis, celle d’Issy a crû de 50 % quand Macerata s’est tassée de 10 % : les perspectives d’emploi y restent très inférieures. Macerata s’étend pourtant sur une superficie vingt fois plus vaste qu’Issy. Mais cela ne doit pas tromper : comme leurs ancêtres médiévales et au contraire de la France, les communes italiennes intègrent terrains et hameaux du voisinage. Quand on fait abstraction des terres agricoles, les surfaces urbaines sont comparables. Et si depuis le jumelage notre ville a gardé son même maire, pas moins de huit édiles différents de toutes les couleurs se sont succédés au municipiode Macerata – il est vrai, dans un pays longtemps cité pour son chaos politique.

Macerata, Issy-les-Moulineaux et Weiden in der Oberpfalz en Allemagne constituent enfin un rare cas de jumelage tripartite. Alors à quand une histoire comparée des trois villes ?

 


 
 Macerata et ses environs immédiats. Au nord-est : Loreto (Lorette). Au sud-ouest : Tolentino.

 






Quelques sources :

RICCI Ettore, SERRA Luigi et CASTELLANI Giuseppe, Macerata, Enciclopedia Italiana Treccani, 1934.

Association Centro Studi Maceratesi Storici.

Revue La rucola – notizie di Macerata

Pierre Baland  28 mai 2025

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